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Xena, mes fans fictions
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20 novembre 2012

L'hiver finira un jour, chapitre 10

Vint un moment où elle perdit le compte des jours. Où la succession sans fin de la lumière et des ténèbres ne signifia plus rien pour elle que des instants fugitifs, disparus aussitôt qu'entraperçus. Vint un moment où les exigences même du corps, la faim, la soif, le froid, s'effacèrent de la frange de sa conscience. La seule chose qu'elle percevait encore était le souffle, si faible mais toujours présent, de Gaëtan. Elle avait renoncé depuis longtemps à quitter l'abri de la grotte. Elle ne sortait que pour ramasser un peu de neige, sans illusion sur le bref soulagement procuré par le fait de la laisser fondre dans sa bouche, mue seulement par l'instinct. Oui, elle faillit vraiment choisir de se laisser mourir durant les jours qui suivirent le bref sursaut de Gaëtan hors de l'inconscience. Et si elle prit finalement un autre chemin, ce fut seulement parce qu'un matin, un matin chargé de neige et presque sombre, elle trouva Gaëtan plongé dans une sommeil semblable à la mort. Le visage du palefrenier était livide, plus pâle qu'elle ne l'avait jamais vu. Les faibles crispations qui l'avaient animé jusque-là avaient fait place à une immobilité terrifiante, comme s'il gisait dans un cercueil de glace. Sa poitrine ne bougeait plus. Et lorsque Gabrielle frôla sa main inerte, elle la trouva froide, aussi froide que la neige qu'elle avait ramassé quelques heures plus tôt. La terreur alors s'abattit sur elle comme une furie. Elle se jeta en arrière, fuyant le corps gisant avec horreur, elle recula jusqu'à sortir de la grotte sans la moindre pensée consciente. « Non » hurla silencieusement son esprit. « Non, il n'est pas mort. Je peux encore le sauver ». Et elle allait le faire. Oui, elle allait faire ce que la peur l'avait empêchée d'accomplir jusqu'ici. Il n'était pas trop tard. Il fallait simplement qu'elle trouve quelqu'un pour l'aider. Alors elle partit. Droit devant elle, comme une aveugle, elle partit. Elle trébucha plusieurs fois sur la croûte de neige qui avait gelé, s'écorcha la main contre un bloc de glace qui faillit la faire tomber, mais rien de tout ceci ne pénétra son esprit conscient. Elle partit comme on fuit, le cœur battant à ses oreilles, poussée par la peur et le désespoir. Elle ne réalisa même pas qu'elle s'enfonçait dans la forêt. Sa longue jupe s'accrochait aux buissons sans ralentir sa marche. Deux fois une branche vint la frapper au visage, deux fois elle tressaillit à peine, insensible à la douleur. Elle avança. Elle avança tant et si bien que la lumière du jour diminua peu à peu, étouffée par la végétation de plus en plus touffue, par la nuit proche aussi, peut-être. Gabrielle n'en eut cure. Son pas se fit moins rapide tandis qu'elle affrontait des fourrées inextricables, il lui fallut bientôt déployer une énergie formidable pour s'arracher à la fois aux branches et à la neige traîtresse de ces bois. Elle se mit à haleter. L'air glacé brûlait ses poumons à chaque inspiration, toujours plus douloureux. Très vite une pointe aiguë déchira son côté droit comme son souffle se faisait court. Elle plaqua une main sur sa poitrine, utilisant l'autre pour repousser les branches qui tentaient de freiner sa marche. Elle entendit soudain un hurlement lointain, un cri rauque qui déchira le silence de la forêt. Sans même redresser la tête, tout son corps mû par le seul désespoir, elle accéléra encore l'allure. Elle courait presque. Elle eut l'impression curieuse que sa marche durait des heures et quelques minutes en même temps. Puis le hurlement s'éleva de nouveau, beaucoup plus près cette fois, et aussitôt suivi d'un autre. Gabrielle tourna instinctivement la tête dans la direction du bruit. Son pied gauche s'enfonça soudain, elle battit des bras désespérément, mais rien n'y fit. Elle s'écroula au sol. Elle resta immobile quelques secondes, avant que le froid contre sa joue ne perce son hébétude. Avec effort, en posant les mains de chaque côté de son corps, elle se redressa lentement. Elle vit les yeux jaunes de l'animal avant même de réaliser de quoi il s'agissait. Un loup. Un loup efflanqué, les cotes saillantes sous sa maigre fourrure, le bassin au ras du sol. Un loup encore plus misérable qu'elle-même

 

« Oh, mon Dieu. » gémit Gabrielle.

Les oreilles de l'animal se couchèrent. Sans un bruit, il pivota un peu, vers la gauche. Gabrielle l'imita. Elle comprit alors que ce n'était pas sa prière qui avait fait réagir le loup. Car elle la vit. Même si elle ne pouvait en croire ses yeux, elle la vit, elle vit la silhouette debout à quelques mètres d'elle.

«Gaëtan? » murmura-t-elle, en une question qui contenait déjà sa propre réponse.

La silhouette bougea un peu, et le loup bondit. Gabrielle cria alors, de toute la force de son désespoir. Gaëtan esquissa un pas de côté, comme une danse songea-t-elle obscurément. Son bras droit jusqu'alors dissimulé derrière son dos jaillit soudain, brandissant une énorme branche qui vint frapper le loup en plein saut. Il y eut un craquement sonore, l'animal retomba au sol avec un jappement de souffrance. Gaëtan, emporté par l 'élan, faillit s'écrouler à son tour. Il se rattrapa en prenant appui sur son arme improvisée. Avec terreur, Gabrielle vit le loup se relever, secouer sa tête énorme.

« Non ! » cria-t-elle.

Mais l'animal ne repartit pas à l'attaque. Titubant un peu, il recula sans jamais tourner le dos à Gaëtan. Il s'enfonça dans les fourrés et finit par disparaître. Pendant quelques secondes, Gabrielle resta figée, la bouche ouverte sur son cri désormais éteint, incapable de croire à la réalité de cette silhouette courbée devant elle.

«Gaëtan? » réussit-elle enfin à murmurer.

 

Le palefrenier releva lentement la tête. Il s'appuyait toujours sur la branche, et respirait vite, de façon superficielle. Mais son regard flamboyait.

 

« Je déteste les loups. » lacha-t-il d'une voix rauque, presque éteinte.

 

Gabrielle se releva. Avec lenteur elle s'approcha de l'homme toujours immobile, elle avança jusqu'à pouvoir le toucher rien qu'en tendant la main. Gaëtan la regardait toujours. Il était pâle, aussi pâle qu'une apparition. Un fin voile de sueur perlait sur son front. Il tenait une de ses mains appuyée contre son ventre, à l'endroit où la flèche de Montferrand l'avait frappé. Il tremblait.

 

«Gaëtan . » répéta Gabrielle, cette fois sous la forme d'une affirmation, parce qu'il était vraiment là. « Mais vous étiez... vous étiez... je vous ai cru mort « !

 

Le palefrenier sourit. Oui, aussi surprenant que cela put paraître, il sourit, d'un sourire grimaçant et douloureux certes, mais néanmoins réel.

 

« Je ne suis pas encore mort. » dit-il de sa voix basse, si rauque, si... familière.

 

Il esquissa un mouvement, qui suffit à le déséquilibrer. Lorsqu'il vacilla, Gabrielle se précipita. Le poids de Gaëtan s'abattit sur elle, et elle se retrouva à lutter de toutes ses forces pour simplement rester debout. Elle réussit, sans trop savoir comment, à glisser le bras de Gaëtan autour de ses épaules. Mais il était si lourd, cet homme échappé des griffes de la mort, il était si lourd, et elle-même se sentait si faible. Elle tomba à genoux, accompagnant Gaëtan dans sa chute. Pourtant elle ne le lâcha pas. Elle refusa d'accorder cette dernière satisfaction au destin, elle se battit pour tenir le palefrenier alors même que son propre corps avouait sa défaite. Elle ne pouvait pas le porter, elle ne pouvait même pas le soutenir. Mais elle pouvait le serrer contre elle, aussi fort qu'il était humainement possible. Elle pouvait ne pas l'abandonner.

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