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Xena, mes fans fictions
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1 novembre 2012

L'hiver finira un jour, chapitre 7

C'était en ces lieux que Gabrielle ressentait au plus profond de son être toute la force du Dieu vivant. Là, dans le froid brûlant, au cœur du silence, s'allumait en elle la flamme mystérieuse qui faisait chanter son âme. Depuis toujours la nature avait éveillé ses sens. Tout enfant déjà, à l'époque où son univers ne s'était pas encore rétréci de murs, elle était venue chercher dans le parc la présence du Dieu que sa destinée la condamnait à servir. Et c'était en contemplant les eaux du lac qu'elle la trouvait. Elle ne savait ni pourquoi cela lui était nécessaire, ni dans quelle mesure cette recherche témoignait de sa propre incapacité à s'abandonner entièrement à sa foi, mais elle avait continué de prier, chaque jour, chaque nuit, pour que s'élève enfin, en elle et dans le cœur de chaque homme, le rayonnant amour de Celui qui était mort en leur nom. Elle était fille de roi. Destinée, un jour, à devenir la femme de celui qui succéderait à son père, et dont elle serait la servante à jamais. Tels étaient les mots qu'on lui avait enseignés pendant que sa vie s'écoulait lentement derrière les murailles du château et que son cœur peu à peu se noyait de solitude. Servante de Dieu aujourd'hui, servante d'un homme bientôt, servante enfin de tous et pour toute l'éternité, c'était son destin qui s'écrivait dans ces mots.

Mais fille de roi, elle priait aussi pour son père, son père qui dirigeait le monde et dont elle attendait le retour. Sa dame de compagnie disait que lorsque le roi reviendrait, Gabrielle découvrirait son époux et réaliserait enfin sa destinée. Ce jour-là, en s'agenouillant au bord du lac, Gabrielle vint prier non pas pour cet accomplissement, ni même pour la victoire du roi. Elle vint prier pour son père. Elle fit les gestes rituels réservés d'ordinaire au temple. Elle traça dans la neige, du bout des doigts, un large demi-cercle. Toujours à genoux, elle baissa la tête et noua les mains sur sa poitrine. Ensuite, elle attendit. Elle attendit que le silence s'élève, que tout autour d'elle se fige, que la neige même cessât de respirer.

 

« Mon père... » murmura-t-elle alors.

 

Parce que lorsqu'elle priait, elle s'adressait à lui comme s'il pouvait l'entendre.

 

« Mon père, répéta-t-elle, cela fait aujourd'hui deux ans que vous êtes parti. Deux ans depuis ce funeste jour qui vous a arraché à votre peuple bien-aimé, et à moi, votre humble servante. Mon père, en ce jour anniversaire de votre plus grand honneur et de ma plus grande tristesse, je prie pour que ces mots d’aile en aile vous rejoignent. Un jour vous reviendrez, je le sais, et que ce jour arrive demain ou dans un an, Dieu le décidera. Soyez assuré que ma foi envers Lui demeure entière, tout comme mon amour pour vous. J'attends votre retour, ô mon père, et je prie en espérant qu'il se produira bientôt. »

Gabrielle traça une fois de plus le signe rituel dans la neige, puis elle se releva lentement, pesamment. Elle avait envie de pleurer. Peut-être était-ce le froid qui amenait ces larmes dans ses yeux, peut-être était-ce simplement le sentiment de sa propre solitude, elle ne savait plus. Elle serra l'attache de son manteau, presque heureuse de sentir le vent fouetter ses vêtements humides. A quelques pas de là l'attendait Argo, sa monture, sa fierté en ces jours si monotones. Il était temps de rentrer, elle en avait conscience. Elle lança un dernier regard vers le lac, le seul horizon ouvert que lui offrait sa vie, et de son âme monta un appel tout simple, presque désespéré. « Seigneur. » songea-t-elle. « Seigneur, faites qu'il nous revienne, si telle est votre volonté ». Tandis que les mots ressentis plus que pensés résonnaient en écho sans fin dans son esprit, elle se retourna pour prendre le chemin du retour. La surprise la cloua sur place. Devant elle, silencieux, imposants, se tenaient quatre hommes en armes vêtus de noir.

l'observaient ainsi. A leur tête, elle reconnut le capitaine Montferrand, responsable de la multitude de gardes qui protégeaient le château. La première pensée de Gabrielle fut qu'il était arrivé quelque chose à son père. Elle fit un pas en avant, l'esprit empli de panique, les mains déjà tremblantes.

 

« Capitaine ? » murmura-t-elle dans un souffle presque moribond.

 

« Altesse. » répondit l'homme avec une brève révérence.

 

Sa voix grave et ample résonnait haut. Gabrielle avança encore, comme si la proximité physique accomplie au prix d'un immense effort allait réduire à néant avant même qu'ils ne soient prononcés les mots du capitaine.

 

« Est-ce que... est-il arrivé quelque chose ? » demanda Gabrielle.

 

Montferrand promena un large regard sur les environs, poussa un soupir.

 

« Vous avez été une vraie prêtresse, Altesse. » déclara-t-il.

 

« Que... comment ? » fit Gabrielle, stupéfaite.

« Oui, vous avez prié. » reprit le capitaine sans paraître l'entendre. « Depuis des années vous intercédez auprès de Dieu pour nous. C'était votre destinée. Mais Dieu exige toujours de nous de plus grands sacrifices. La guerre que mène notre seigneur le Roi fait partie de ces sacrifices nécessaires. Votre mort également. »

Gabrielle s'immobilisa net. Soudain la panique qui mordait son âme et faisait frissonner sa chair relâcha un peu son emprise. Les mots du capitaine pénétrèrent sa conscience avec une clarté totale. Gabrielle comprit chacun d'entre eux, et tout ce qui faisait d'elle une femme de rêves brisés se révolta.

« Ma mort ? » murmura-t-elle. « En quoi ma mort servirait-elle les desseins de Dieu ? »

« Le royaume doit survivre avant tout. » répondit Monteferrand. « Et il survivra, quel qu'en soit le prix. Mais si cela doit compter pour le jour de mon jugement, Altesse, j'aurais préféré ne pas être celui qui aurait le devoir de faire ceci. »

Il tendit le bras. Dans sa main brillait une arbalète armée, une arbalète dirigée droit sur Gabrielle. A cet instant, l'héritière du plus grand empire que mémoire d'homme ait connu, la prêtresse du seul vrai Dieu de ce pauvre monde, n'eut qu'une seule pensée. Elle songea à sa mère, en toute simplicité. Sa mère dont elle ne gardait aucun souvenir, sa mère qui n'avait été jusqu'à présent pour elle qu'un mot vide de sens. Gabrielle, au moment de mourir, songea à sa mère, et songea qu'elle allait pouvoir enfin la rencontrer. Cet espoir-là, glacé au fond de son âme depuis l'enfance, fit qu'elle redressa fièrement la tête pour dévisager la mort en face. Et qu'elle vit le destin prendre fait et cause pour elle.

 

Parce qu'elle avait les yeux fixés sur l'arbalète, le déclic du mécanisme lui sembla déchirer l'air. D'un geste purement instinctif, Gabrielle tendit la main devant elle. Puis tout se précipita. Elle crut sentir un souffle près de son visage, comme si le vent au moment de sa mort voulait lui accorder une dernière caresse. Le carreau de l'arbalète brilla au soleil, elle l'entendit vibrer dans les airs. Soudain une forme sombre et immense jaillit. De nulle part, lui sembla-t-il. Elle eut le temps de remarquer que les hommes en armes devant elle reculaient tout à coup, sans que son esprit en soit vraiment conscient. Puis une main se tendit, comme au ralenti, se referma sur le carreau en plein vol, stoppant la mort en marche. Et la forme se déplia, lentement, si lentement qu'on aurait dit une montagne qui s'ébranle, lui masquant la vue. Gabrielle recula alors, parce que ses jambes soudain la trahissaient.

 

« On ne s'attaque pas à une femme sans défense. » dit alors une voix grave, rauque, presque un grondement de fauve.

 

« Qui que tu sois, cria le capitaine de Montferrand, tu viens de signer ton arrêt de mort ! »

« ô Dieu » pria désespérément Gabrielle. Son corps continuait de reculer alors même que tout son esprit la poussait en avant, lui hurlait de faire quelque chose. Le résultat fut qu'elle trébucha et tomba assez lamentablement. Mais pendant tout ce temps, elle garda les yeux fixés sur l'immense silhouette qui s'était interposée entre elle et les soldats. Dans le corps sombre, vêtu de noir, dans l'attitude ramassée qui était la sienne, elle reconnut Gaëtan. Et qui cela aurait-il pu être d'autre ? Qui attendait près de Montag qu'elle ait enfin terminé sa prière pour la ramener au château ? Il n'y avait pas âme qui vive dans cette partie du parc, c'était d'ailleurs la raison pour laquelle Gabrielle s'y réfugiait si souvent. Le capitaine de Montferrand le savait, bien sûr, cela faisait partie de ses attributions. Et le sachant, il ne lui avait sans doute pas été trop difficile de mettre au point cette... cette quoi ? Cette attaque ? Cet assassinat ? Il voulait vraiment la tuer ? Gabrielle s'agenouilla dans la neige, la scène fixée devant ses yeux comme en suspens.

 

« Capitaine ! » s'écria-t-elle. « Capitaine, ne faites pas cela ! Rien ne vaut cela ! Le prix d'une vie est... »

Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Poussant un grognement effrayant, les trois soldats du capitaine partirent à l'attaque. La silhouette sombre, la montagne dressée devant eux, Gaëtan enfin, bougea à son tour. Plus vif que l'éclair, il évita le premier homme, réussissant en s'écartant à le pousser la tête la première dans la neige. Cette feinte lui fit cependant perdre quelques secondes et quand il reprit position, les deux autres soldats se tenaient devant lui. Chacun d'eux avait sorti son sabre. Pendant un instant, il sembla que le temps avec clémence les figeait dans cette figure du juste avant la mort.

« Tuez-le ! Tuez ce bâtard ! » cria alors Montferrand.

Les soldats obéirent avec une discipline qui faisait honneur à leur réputation. Ils attaquèrent ensemble, d'un geste quasiment identique ; leurs sabres fendirent l'air et ne trouvèrent que le vide. Gaëtan avait bondi. Bondi par-dessus leur tête, en un saut stupéfiant de hauteur et de rapidité. Lorsqu'il toucha le sol, juste derrière les soldats, il fit quelque chose que Gabrielle ne réussit pas à distinguer. L'un des hommes décolla et alla s'écraser contre un arbre, quatre bons mètres plus loin. Il resta inanimé. L'autre pivota sur lui-même, effectua un moulinet avec son sabre. Du poignet, Gaëtan para le coup qui visait sa poitrine. Il enchaîna très vite, avec une série de mouvements presque indistincts tant ils étaient rapides,et quand il s'immobilisa enfin, le soldat gisait sur le sol. Ce fut alors que le capitaine de Montferrand braqua son arbalète sur lui.

«Gaëtan! » cria Gabrielle avant même de comprendre ce qui se passait.

 

Le palefrenier leva les yeux dans sa direction, vit son visage figé d'horreur et tenta de se reculer. Le mouvement à peine esquissé fut tout juste suffisant pour lui sauver la vie. Il y eut un bruit de déchirement comme le carreau frappait son flanc, puis Gaëtan hurla, un hurlement comme jamais encore Gabrielle n'en avait entendu, un hurlement de bête sauvage. Montferrand rechargeait l'arbalète, ses mains tremblantes le gênaient. Avant qu'il ait pu terminer, Gaëtan avait bondi sur lui. D'un revers de main, le palefrenier fit voler l'arbalète qui retomba à plusieurs mètres dans la neige. De l'autre, il saisit Montferrand au collet et le souleva littéralement du sol, le projetant contre un arbre par la seule force de son bras. Gabrielle entendit un craquement sec. Puis Montferrand s'écroula et demeura inerte sur le sol. Sa tête penchait selon un angle bizarre. Gabrielle sentit monter un cri d'horreur dans sa gorge en comprenant soudain qu'il était mort. Mort. Tué à mains nues. Tué sous ses yeux. Et lorsque Gaëtan pivota lentement vers elle, une main collée contre son flanc, le visage livide, Gabrielle ne put retenir un gémissement de pure terreur.

 

« Il faut partir, Altesse. » dit alors la voix rauque et sombre de celui qui chuchotait dans ses rêves. « D'autres vont venir. Il faut partir. »

Son esprit ne réussissait pas à articuler d'autre pensée. Cet homme était mort. Elle le connaissait depuis presque dix ans, il avait veillé sur sa sécurité comme sur celle de tous les habitants du château, il avait prié auprès d'elle chaque dimanche depuis le départ du Roi, et maintenant, il était mort. Il avait voulu la tuer, et il était mort. Est-ce que le monde devenait fou ? Perdait-elle la raison ?

 

« Altesse. » répéta Gaëtan. « Il faut partir. »

 

Par un effort de tout son être, Gabrielle réussit à détacher les yeux du corps étendu de Montferrand, les ramena vers le palefrenier debout devant elle, sa silhouette immense se découpant à contre-jour.

 

« Vous l'avez tué. » dit-elle.

 

« Oui. répondit Gaëtan. Il est mort. Personne ne peut plus rien pour lui, maintenant. Levez-vous, Altesse. »

Et il tendit la main. Gabrielle la regarda longuement, cette main tendue, incapable de comprendre sa signification. Alors, avec lenteur, comme au ralenti, Gaëtan se laissa tomber à genoux dans la neige. Le visage très pâle, crispé de souffrance, ses yeux enflammés par quelque chose qui ressemblait à de la colère, il parut à Gabrielle presque douloureusement familier, comme si elle avait subi de toute éternité ce regard baissé vers elle, comme si Gaëtan lui parlait au-delà des mots et de la mémoire.

« Écoutez-moi. » articula lentement l'homme qui venait de tuer pour elle. « Nous allons nous lever. Nous allons nous lever et partir d'ici, ensemble. Personne ne nous fera de mal. Vous comprenez ça ? Vous comprenez ce que je dis ? »

Silence. Puis Gabrielle hocha la tête. Elle posa sa main, tremblante et froide, dans celle que tendait toujours Gaëtan. Elle se sentit alors relevée presque malgré elle, debout sur ses pieds avant même d'avoir compris ce qui lui arrivait, entraînée par une force telle qu'elle n'en avait jamais connue. Et elle s'abandonna. Parce qu'il fut là lorsque tout bascula, c'est vrai, mais aussi parce qu'il était là bien avant, au plus près de son âme, elle se rendit à lui.

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