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Xena, mes fans fictions
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30 octobre 2012

L'hiver finira un jour, chapitre 6

Il fut là, bien sûr, lorsque tout bascula. Il fut là bien avant. Il était en elle, depuis le premier jour, depuis l'instant où elle l'avait aperçu, solitaire et silencieux au milieu de la foule. Silencieux, ce fut exactement ce qu'il demeura pour elle pendant une éternité. Elle le vit arriver un matin, menant Montag par la bride, et son cœur se figea. Elle aurait dû s'y attendre, sans doute. Après tout, il était palefrenier. Tôt ou tard, le hasard l'aurait désigné pour lui servir d'escorte. Curieusement, elle n'y avait jamais songé. Mais à présent, il était là, silencieux, impassible, exact reflet de ses rêveries. Il ne prononça pas un mot. Même au cœur de la forêt, loin de toute civilisation, il demeura muet. Et Gabrielle ne lui posa jamais la moindre question. Il lui semblait que la réalité de sa présence ne tenait qu'à un fil. Humble, les yeux perpétuellement baissés selon la coutume, le palefrenier dont elle ignorait le nom devint partie intégrante des promenades libératrices. Il marchait derrière Gabrielle, toujours, d'un pas long et puissant qui lui permettait de suivre sans peine le rythme de Montag. De temps en temps Gabrielle se retournait sur sa selle, motivée par l'inquiétude diffuse que tout cela n'était qu'un rêve, que cet homme distant et muet n'existait que dans son imagination. Chaque fois, sa vue provoquait en elle le même minuscule ébranlement. Parce que leurs ballades étaient longues, il s'habillait plus chaudement, à la manière traditionnelle. Il portait une immense écharpe autour du cou, qui voilait presque la totalité de son visage ; il arborait les mêmes jambières rouges que Gabrielle avait déjà remarquées,et puis quelque chose d'autre ceignait sa taille, une ceinture sans doute, mais qui ne ressemblait en rien aux tenues des autres palefreniers. Il n'avait jamais de gants. Il semblait insensible au froid comme à la fatigue. Il semblait droit sorti d'un songe.

 

 

 

Pourtant, il était là. Il fut là longtemps, fantôme sombre et familier. Gabrielle apprit en sa présence que les silences pouvaient prendre différentes formes. Elle apprit à reconnaître ceux qui l'excluaient, elle et le reste du monde ; elle eut parfois l'impression, aussi, que certains se faisaient muraille autour de sa propre voix, comme pour mieux la faire résonner. Alors elle parla, souvent, et sans attendre aucune réponse. Elle parla dans l'espoir de repeupler son monde. En ces instants, le parc et sa vie lui appartenaient de nouveau. Les choses retrouvaient sens sous ses mots. Elle ne dit rien d'elle-même parce qu'elle ignorait posséder quelque chose qui soit de son âme. Mais elle racontait le monde. Elle le fit à voix haute, dans la joie libératrice de ces promenades sans but, elle le fit sans aucune conscience de la portée de ses mots. Elle fut sincère. Chaque jour, elle vivait trois heures de bonheur. Il lui arriva souvent de descendre de cheval et d'aller observer de plus près quelque buisson recouvert de neige. Elle aimait particulièrement s'arrêter près du lac, fascinée par sa surface gelée.

Son compagnon silencieux gardait Montag pendant ces étapes toujours un peu longues, sans jamais manifester la moindre impatience. Ainsi s'installa entre eux une sorte de rituel. Pour Gabrielle, il s'intégra au sentiment de bonheur qui était le sien si étroitement que bientôt, elle ne réussit plus à les dissocier. Elle s'y abandonna car telle était sa nature. Et il fut là quand tout bascula, mais il fut là longtemps avant, comme une extension de son âme.

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