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15 novembre 2012

L'hiver finira un jour, chapitre 9

Ce fut la lumière qui la réveilla. Une lumière merveilleusement chaude et violente, comme si quelqu'un avait enfin décidé de déchirer les ténèbres pour laisser le soleil profiter du maigre interstice ainsi créé. Elle émergea du sommeil avec la difficulté d'une noyée, l'esprit embrumé, le corps gourd. Le jour s'était levé. Il éclairait la grotte d'une lueur étrange, presque fauve, qui étincelait sur les parois humides. Gabrielle tenta de se redresser malgré les protestations de ses muscles. Elle se demandait encore où elle était lorsqu'une pensée soudaine fracassa le brouillard de son esprit. Elle pivota brusquement, le mouvement lui arracha un faible cri. La forme sombre de Gaëtan était toujours là, près d'elle, immobile. Gabrielle n'eut qu'à tendre la main pour la toucher et sentir sous ses doigts la faible respiration d'un corps en souffrance.

« Merci, Seigneur. » murmura-t-elle.

Elle s'accorda ainsi quelques secondes à écouter simplement la vie qui s'éveillait en elle, la vie qui persistait encore près d'elle. Lentement son esprit sortait des brumes. Il lui fallut de longues minutes pour prendre la décision très simple de se lever. Elle s'appuya lourdement contre la paroi de la grotte, essaya de bouger ses jambes engourdies, sans aucun succès. Ce fut l'idée du soleil qui lui donna enfin la force de bouger. Elle se releva, trébucha, décida que ramper était encore la meilleure solution. Elle atteignit ainsi l'extérieur, s'écorchant les genoux sur la pierre coupante de ce qui leur avait servi d'abri pour la nuit, ses mains encore couvertes de sang, tremblant de peur rétrospective ou de froid, elle ne savait pas très bien. Enfin elle frôla la neige de ses doigts. La clarté du jour l'aveugla quelques secondes, saturant ses sens déjà meurtris.

« Seigneur, veillez sur vos enfants. » articula-t-elle d'une voix rauque, presque cassée, qu'elle ne reconnut pas comme la sienne.

Elle saisit une pleine poignée de neige et s'en frotta le visage, accueillant avec ivresse la sensation douce et froide contre sa peau. Ce n'était pas de l'eau, ce n'était même pas un chiffon humide, mais cela suffit à éclaircir définitivement son esprit et rien que pour ce minuscule miracle elle avait envie de remercier Dieu. Elle ramassa encore un peu de neige, qu'elle mit cette fois dans sa bouche. Puis pendant quelques minutes elle resta là, moitié assise moitié couchée sous le froid soleil de ce matin d'hiver. Que devait-elle faire à présent ? Il lui semblait que des jours entiers s'étaient écoulés depuis l'instant fou qui avait vu un homme chargé de sa protection tenter de l'assassiner. Mais cela ne pouvait que se compter en nombre d'heures, malgré ce que son esprit voulait lui faire croire. Sa disparition devait être maintenant connue de tous, et sans doute un bataillon de soldats parcourait-il les bois pour la retrouver. Il suffisait d'attendre. Tôt ou tard, quelqu'un viendrait à son secours. Même si Gabrielle n'avait aucune idée de l'endroit où Gaëtan les avait conduits, elle ne pouvait croire que les soldats chargés de sa protection ne finissent pas par venir jusqu'ici, comme le commandait leur devoir. Peut-être était-elle à l'heure actuelle très loin du palais. Peut-être aussi la course de Gaëtan n'avait-elle fait que les entraîner dans la direction opposée au lac, sans vraiment quitter le domaine royal.

« Oui. » murmura Gabrielle, le visage tourné vers le ciel. « Oui, quelqu'un va venir, c'est inévitable. »

Se l'entendre dire à voix haute ne fit, étrangement, que ressusciter son angoisse. Car même si elle avait raison, il pouvait s'écouler des heures avant que les soldats ne retrouvent sa trace. Jusqu'à cette issue qu'elle espérait probable, elle demeurait seule, au chevet d'un être blessé dont elle ne savait ni ce qu'il était, ni comment l'aider. Elle songea bien à partir, à chevaucher Montag en se fiant au cheval pour retrouver sans faillir le chemin du palais. Mais cette idée ne fit qu'effleurer sa conscience. D'une part elle ignorait totalement où se situait la grotte qui leur avait servi de refuge. D'autre part il lui était impossible de laisser Gaëtan derrière elle. Elle n'avait donc pas le choix. Elle devait rester ici, et attendre un éventuel secours. Et prier pour que celui-ci arrive à temps.

Cependant la question restait entière : que devait-elle faire ? Elle n'avait ni eau ni provisions, et certainement aucun moyen de soigner Gaëtan. Dans ses vêtements humides, elle tremblait de froid, ce qui la faisait douter de sa capacité à endurer une autre nuit glaciale dans cette grotte qui ne leur fournissait que l'illusion d'un abri. Gabrielle se redressa un peu, ramenant ses mains engourdies contre sa poitrine. Pour la première fois, elle s'avisa qu'il avait dû neiger au cours de son sommeil. Il ne restait devant la grotte aucune trace de leur arrivée, pas même l'empreinte d'un sabot. Et Montag n'était nulle part visible. A cette pensée, une bouffée de désespoir envahit Gabrielle. Même si elle n'avait pas réellement envisagé de partir avec le cheval, découvrir que celui-ci avait disparu anéantit en elle toute perspective de s'arracher à son sort par ses propres moyens. Elle était définitivement seule. Perdue au milieu de nulle part. Elle sentit des sanglots gonfler dans sa poitrine. Par un prodigieux effort elle repoussa les larmes qui menaçaient, tenta une prière intérieure pour maîtriser sa panique grandissante. Elle était fille de Dieu. Elle se devait d'accepter le sort qui la frappait, et d'espérer en la miséricorde infinie du maître de toute chose.

« Cesse de te focaliser sur ce que tu ne peux pas faire » s'ordonna-t-elle silencieusement. « Agir est une prière ».

C'était ainsi qu'elle avait toujours conçu son rapport privilégié avec Dieu. Puisqu'il lui était impossible d'obtenir jamais une réponse claire à ses prières, elle s'était longtemps accommodée du silence en transformant chaque acte en célébration muette de l'Etre qui donnait la vie. C'était une manière de combattre le désespoir. Et plus que jamais elle avait besoin d'y croire. Elle ramassa une nouvelle poignée de neige puis, toujours rampant, elle revint péniblement vers la forme allongée près de la paroi la plus sombre de la grotte. En s'approchant de Gaëtan, elle sentit son esprit lâcher prise quelques secondes, alors qu'elle faisait face non seulement à la nécessité de toucher le palefrenier, mais aussi à la question sans réponse des soins qu'elle pouvait lui apporter. Qu'était-elle censée faire ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait même pas ce qu'était cet homme qui n'était pas un homme, cet être sauvage qui avait soudain jailli de nulle part pour la ravir à la mort. Elle se rappela la nuit précédente, la chevauchée interminable dans la forêt, les mots étranges qu'avait murmurés tant de fois Gaëtan alors qu'elle se tenait agenouillée près de lui dans le froid glacial. Elle se souvint d'avoir pensé à sa mère en tenant les mains du blessé entre les siennes. A sa mère, cette femme disparue depuis si longtemps de sa mémoire. De cela, peut-être plus encore que du reste, elle était redevable au mystérieux être que le destin avait placé sur sa route. Alors Gabrielle posa une main sur le front de Gaëtan, dans un geste d'abandon qui ne signifiait rien d'autre que la gratitude. Le palefrenier n'eut aucune réaction. Gabrielle trouva sa peau brûlante sous ses doigts, presque incandescente. La fièvre dévorait Gaëtan, comprit-elle soudain,avec une clarté aveuglante. Elle poussa un soupir qu'elle n'entendit même pas. A gestes lents, elle déposa un peu de neige sur les lèvres crevassées de Gaëtan, puis réarrangea sa vareuse dans le but sans doute vain de le protéger mieux du froid. Elle ramena ensuite les genoux sous son menton, essayant de ranimer sa propre chaleur. Et elle attendit. Sa hanche touchait l'épaule de Gaëtan, elle avait gardé entre les siennes la main inerte du palefrenier, elle ne bougeait plus. Parce qu'elle ne savait que faire d'autre, parce que quitter cette grotte était au-dessus de ses forces, elle attendit. Elle pria. Elle accepta. Femme de rêves, elle sortit ainsi de la réalité. Mais ce fut pour mieux l'aimer.

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